Andrés Calamaro: Tinta Roja

Le renouveau des standards sud américains

Le répertoire de la chanson populaire en espagnol est aussi grand qu’inconnu en France. Il est comparable, tant en quantité qu’en qualité, à celui des standards américains. Et depuis une quinzaine d’années des disques lui rendant hommage ont beaucoup de succès. Le crooner mexicain Luis Miguel, après avoir été enfant star de la chanson, inaugure la tendance avec Romance (1991). La série de quatre albums de boléros et de tangos, arrangés façon Miami, ont confirmé son succès et son style. C’est l’un des plus gros vendeurs de disques du monde et son chant est imité dans tout les pays de langue espagnole. En 1994, le brésilien Caetano Veloso publie le magnifique Fina estampa. Depuis on ne compte plus les artistes qui ont pioché dans le répertoire cubain, mexicain, argentin… et finalement peu espagnol.
En 1993, Javier Limón, producteur de flamenco, réalise le rêve du cinéaste Fernado Trueba de faire se rencontrer la musique gitane et la cubaine. Il enregistre le cantaor El Cigala accompagné par le pianiste cubain Bebo Valdés. Il n’y a pas un bar en Espagne où l’on n’entend pas les boléros de Lagrimas Negras.
Ayant pris le goût de marier les genres, Javier Limón produit El Cantante en 2004, où le chanteur de rock argentin interprète avec brio les tangos de Carlos Gardel, accompagné d’un guitariste flamenco. Ils récidivent cette année avec Tinta Roja.
C’est étonnant à quel point la guitare flamenco colle au tango. Comme le piano de Bebo et la voix de El Cigala. Ce qui est réussi dans ces productions de Limón c’est qu’on a l’impression de retrouvailles plutôt que de juxtapositions, tant les rencontres semblent naturelles. La qualité des musiciens et du répertoire y est sans doute pour beaucoup.

Le site de Javier Limón
Le site de Andrés Calamaro
Ma sélection de disques
Bebo & El Cigala: Lágrimas Negras en concert

Evaristo, Octobre 2006
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The Man With The Horn

Elle me dit qu’elle aime bien ses chansons mais qu’elle se fatigue vite de cette voix de crapaud. On aime ou on aime pas cette voix, c’est vrai. Mais quel style! Armstrong a le sens du phrasé et du tempo comme aucun chanteur de jazz. Peut-être Ella Fitzgerald seulement. Nat King Cole, presque. Cette façon de terminer les phrases, en écrasant le S final comme une cymbale, Sinatra s’en est certainement inspiré. Moi j’aime sa voix parce qu’il l’utilise comme un instrument de musique. Elle est pleine de nuances. Par contre je suis depuis toujours allergique à ses imitations. J’ai l’impression que Tom Waits le singe (Tom Waits, le singe). C’est comme ceux qui pensent que hurler c’est chanter comme Aretha Franklin.
Et puis il y a la trompette. Et alors là chapeau la trompette! Il y a eu Miles et Dizzy depuis, mais je préfère cette simplicité, l’épure et le direct. Il maîtrise l’intrument autant que sa voix. Et avec la trompette il peut s’envoler plus librement encore.

Evaristo, 3 Janvier 2006 (Ma sélection Cds de Louis Armstrong)
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La plus belle chanson du monde

La plus belle chanson du monde est un objet abstrait; elle se distingue par son écriture, principalement sa mélodie et ses paroles. Ce n’est pas forcément un tube ni même un single. Elle n’a peut être jamais été enregistrée dans sa version idéale. On la rêve interprétée par le meilleur chanteur du monde mais elle est massacrée par le bal du 14 Juillet ou par le chanteur à la mode. On peut la fredonner dans sa tête, imaginer des versions, des styles. Elle est comme une poupée de son que l’on peut habiller comme bon nous semble: bossa nova, rock, pop...
Evaristo, 11 Mars 2005 (10 chansons)
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Découvrir la musique aujourd’hui

Trois manières de découvrir une œuvre d’art.
Une première est directe. On est chez des amis et l’on est bouleversé par une musique que l’on entend pour la première fois. Mais la découverte dépend bien sûr des lieux et des gens que l’on fréquente car il est très difficile de découvrir une culture qui ne fait pas partie de son propre milieu. J’ai découvert la chanson par ma mère, le jazz par mon père et la pop anglo-saxonne par mes grand frères mais dans ma famille la musique contemporaine n’a jamais coulé de source. Un ami me fit apprécier plus profondément la musique classique (Bach, Mozart, Beethoven, Debussy... ) et m’initiât à la musique contemporaine (je fus jusqu’à assister à un concert de Ligeti à Paris, le compositeur étant dans la salle).
Une deuxième façon est indirecte. C’est comme une chaîne qui relie les goûts différents des personnes par leurs goûts communs. On entend parler d’une œuvre ou d’un artiste que l’on ne connaît pas dans un article ou un entretien avec un artiste que l’on aime. C’est une manière d’échapper peu à peu au milieu dans lequel on vit.
Une troisième méthode est un peu perverse. C’est celle d’aller vers ce contre quoi on a des préjugés. On fait des découvertes étonnantes mais il faut s’armer de patience.

Le pape du contemporain

Attiré par le désir de découvrir de nouveau concepts en musique, je me suis donc lancé à la recherche d’artistes susceptibles de me plaire. Seulement voilà: comment faire? À qui se fier? Il faut bien un point de départ même si chacun défend sa chapelle. Alors pourquoi pas le pape? C’est en tombant sur un entretient avec Pierre Boulez que j’ai commencé à entrevoir l’existence de tout un monde jusqu’alors pour moi inconnu. C’était un tout petit détail dans l’article qui m’avait marqué; un genre de phrase qu’on ne peut pas s’enlever de la tête parce qu’elle est pour soi une révélation. Je savais bien que Pierre Boulez déchaînait des passions contradictoires et qu’on lui reprochait notamment son sectarisme, mais rien ne m’empêchait de garder mon jugement. J’ai d’ailleurs toujours apprécié la polémique intellectuelle et la mauvaise fois qui en découle (je me suis éduqué à l’école de Gainsbourg) parce qu’elle me parait plus féconde que la formule scolaire (thèse / antithèse / synthèse) à la Serge July, qui mène finalement à langue de bois. Je me suis donc fait offrir le livre Éclats 2002 (Mémoire du Livre, réédition 2002) qui est une somme d’entretiens de Pierre Boulez avec Claude Samuel, musicologue et journaliste, classés par thèmes. Il contient des références à de nombreux compositeurs classiques et contemporain et est une excellente introduction à la musique contemporaine ainsi qu’à la musique classique du XIXe siècle. Il défend bien sûr la vision personnelle d’un intellectuel de notre époque, mais je préfère une véritable perspective qu’une généralisation floue. Contairement au livre de Pierre Boulez Penser la musique aujourd’hui qui est destiné aux musiciens ayant une solide connaissance des concepts musicaux actuels, Éclats 2002 est accessible et didactique. L’illustration de la recherche de nouvelles formes avec l’exemple de Paul Klee en peinture est magistrale.

Les élus et les marginaux
Boulez partage le monde en deux : d’un coté les élus et de l’autre les marginaux. Il y en a que ça ne fait pas rire mais je pense qu’il ne faut pas prendre autant au sérieux cette intransigeance. Il ne faut pas y voir le reflet d’une attitude politique ou bien sociale mais une forme de rhétorique, faite pour mieux avancer. Quand on consulte sa discographie en tant que chef d’orchestre on voit qu’il n’est pas aussi sévère.
Les heureux élus sont, entre autres, Wagner, Mahler, Debussy, Messiaen, Schoenberg, Berg, Webern, Stravinsky et Ligeti.
Les marginaux sont les répétitifs et les minimalistes de l’école américaine (Terry Riley, John Adams, Philip Glass, Steve Reich) dont on nous parle toujours dans la presse rock. C’est peut être une bonne musique d’ambiance, certainement facile à découvrir, mais quoi de neuf? Est-ce vraiment plus intéressant que Jean-Michel Jarre? Je ne crois pas. Je trouve cela absurde et prétentieux de se donner des limites an tant qu’artistes. Les minimalistes sont des gens qui refusent d’utiliser tout leur capital culturel et intellectuel au service de leur œuvre. C’est Beethoven voulant être Rondo Veneziano! Quel snobisme! Quelle ironie! Mais bon, je trouve ça quand même plus intéressant que les néo classiques de l’est (Arvo Pärt et Henryk Gorecki - qui dans sa 3e symphonie dilue une idée qui aurait fait un bon single).

Ma conclusion
Pierre Boulez a beau être égoïste et véhément dans ses paroles, je le trouve généreux dans la mesure ou il a l’ambition de nous faire découvrir de nouveaux concepts musicaux. Je pense qu’il y réussit au moins en tant qu’intellectuel. Quant à sa musique, il faudra sans doute attendre quelque temps avant de pouvoir la juger. Je trouve idiot de prétendre enterrer rapidement une œuvre qui représente une telle somme de travail sous prétexte qu’elle est difficile d’accès. Une musique qui prétend se construire sur des bases totalement nouvelles ne peut pas être comprise instantanément. Et c’est justement cela qui m’attire vers une œuvre : savoir qu’elle est inépuisable et que toujours je pourrais la découvrir sous une nouvelle perspective.

Evaristo, février 2005 (voir ma sélection disques)
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Dans mon île

J’ai découvert les chansons de Jobim par un ami d’origine portugaise pour qui la musique brésilienne lui permettait de retrouver une part de ses racines : la langue. Nous écoutions déjà Chico Buarque quand je fus frappé par deux découvertes: Antonio Carlos Jobim et João Gilberto.
La bossa nova fut crée en 1958 par Antonio Carlos Jobim. Issu d’une famille bourgeoise de Rio, il fut éduqué au piano classique (Bach, Beethoven, Chopin, Ravel, Debussy et Villa-Lobos) puis gagnât ses premiers cachés comme pianiste de radio et de bars en jouant les succès de l’époque (sambas, boléros, fox-trots, rumbas, tangos et chansons françaises) avant de devenir arrangeur de chansons. C’est en 1950 qu’est enregistrée sa première composition. Son style est la samba-chanson, mélange de rythmes de samba et de mélodies inspirées par la chanson française et américaine. En 1957, il fait la connaissance déterminante de João Gilberto et est impressionné par son jeu de guitariste. Ils enregistreront l’année suivante le disque Chega de saudade, considéré comme point de départ de la bossa nova. La légende raconte que Jobim entendit pour la première fois le rythme de la bossa en écoutant le 45t de Henri Salvador, Dans mon île, au ralenti (c’est à dire à la vitesse 33t). Mais le raffinement particulier de ses compositions tient aussi à l’influence de la musique classique de Debussy et de Chopin. Aujourd’hui encore, quinze ans après ma découverte, je le considère comme le plus grand compositeur de musique populaire, avant Gershwin, Cole Porter, Trénet, Gainsbourg, Bacharach, Brian Wilson, Lennon-McCartney, Michael Jackson...
Il ne pouvait pas être de meilleur ambassadeur de la musique de Jobim que João Gilberto, crooner de velours, inspiré par le style cool de Nat King Cole, l’influence de toutes les voix de velours.
Evaristo, février 2005 (voir ma sélection disques)
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Les vrais ennemis

“Les vrais ennemis le sont de nature, et ils se reconnaissent comme les bêtes se reconnaissent à l'odeur. Il n'y a pas de raison à ce que le chat hérisse le poil et crache devant un chien inconnu, ni à ce que le chien montre les dents et grogne. Si c'était de la haine, il faudrait qu'il y ait eu quelque chose avant, la trahison de l'un, la perfidie de l'autre, un sale coup quelque part ; mais il n'y a pas de passé commun entre les chiens et les chats, pas de sale coup, pas de souvenir, rien que du désert et du froid. On peut être irréconciliables sans qu'il y ait eu de brouille ; on peut tuer sans raison ; l'hostilité est déraisonnable.”
Bernard-Marie Koltès
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Sur la critique

La critique n’est que trop souvent colportage de ragots, voire amplification de rumeurs. On voit que beaucoup d’étoiles sont distribuées selon des tendances et que pour donner leur avis, la plupart des journalistes puisent dans la presse. C’est au final un effet de larsen.
  1. Il Faut se faire des ennemis
    Sur le blog,
    David Thorpe prend à rebrousse-poil les clichés rock et dresse une hilarante et pertinente liste des pires rock stars.
    À ma grande joie on retrouve dans ce classement le archi-faux Kravitz, pilleur sans vergogne des musiques de l’age d’or de la la soul et du funk, auto-marketeur de sa propre image (une sorte de Pop Stars à lui tout seul). Dans le même genre on pourrait y mettre d’autres imitateurs de Curtis Mayfield ou de Stevie Wonder comme Jamiroquai ou Paul Weller. Et dans le rôle du rocker humanitaire, j’aurais préféré voir Sting à la place de Bono, pour le talent (je veux dire le talon de chèque) qu’il a à convaincre de bons musiciens de jazz à jouer de la pop fade. Quant à l’intello suffisant, à mon goût il manque Costello, Morrissey ayant pris sa place. David Thorpe fait aussi l’impasse sur les miliers de faux blueseux à la Clapton. Mais malgrès ces lacunes, ce classement me plaît car il est personnel et courageux et donne une bonne claque aux mauvaises odeurs. Et je ne vous dis pas qui est premier car ce n’est pas celui que vous croyez.

  2. Contre les classements collectifs
    L’autre jour, j’ai envoyé à Bruno un texte à propos du classement collectif 901 Chansons, réalisé par Rock & Folk.

    Je crois pouvoir deviner quels titres figurent ou manquent dans ce classement. Tu parles de sphère, et pour moi, le problème c'est que telle liste est conditionnée par ses électeurs. Regarde celle de Rolling Stone - intitulée 500 Greatest Songs Of All Time - et regarde qui l'a faite : ce ne sont que des anglosaxons, rockers, journalistes ou bien producteurs. C'est comme demander à des chiraquiens quel est leur politicien préféré. Pas étonnant qu'il n'y ait pas trace de Trénet, de Gainsbourg, Jobim, Aznavour, João Gilberto, ni de Dominique A ; pas de Besame Mucho, de Ne me quites pas, Desafinado, Que reste-t-il de nos amours, Come prima... . Ce n'est, un fois de plus, que de la propagande anglosaxone ; un sorte de bombardement médiatique. Qui disait qu'en politique un mensonge répété se transformait en vérité ? Le rock c'est un rabachage, un bourrage de crâne...
    Je préfère une liste personnelle, même anglophile, comme celle de Elvis Costello dans Vanity Fair, ou comme la tienne qui s'arrête au numéro 1.
Evaristo, février 2005
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